Introduction
15 janvier 2008
Parallèlement à l’acquisition de peintures, Jeanne (1855-1937) et Maurice (1861-1939) Magnin eurent à cœur d’acquérir des dessins, en grande majorité d’artistes français du xviie au xixe siècle, ainsi qu’une trentaine de belles gravures de reproduction. Les archives manquent pour dire quand, comment, pourquoi… si bien que la source essentielle de notre connaissance de cette activité réside dans le produit de leur passion : la collection elle-même.
Les traces écrites essentielles dont on dispose sont le catalogue de la collection publié par Jeanne en 19221Jeanne Magnin, Un Cabinet d’amateur parisien en 1922, 2 volumes, Dijon, 1922., l’inventaire des œuvres françaises publié en 19382Jeanne Magnin, Musée Magnin. Peintures et dessins français, Dijon, 1938., et celui des œuvres étrangères par Maurice, resté manuscrit. Une majorité de dessins ne figurait pas dans l’inventaire de 1922 ; les Magnin ont-ils décidé d’en acquérir en plus grand nombre lorsque l’idée de constituer un musée a mûri ? Ou le goût pour l’art graphique s’est-il affirmé comme moment nécessaire de l’activité de l’amateur éclairé ?
Les dessins dont les auteurs sont aussi des peintres de la collection sont très nombreux et viennent à l’appui de la première hypothèse ; cette orientation renforce l’aspect pédagogique d’une histoire visuelle de l’art que les Magnin semblent avoir voulu constituer. Mais l’intérêt pour le geste graphique comme tel existe aussi ; en témoignent notamment la présence de La Fage et de Boissieu, artistes qui se sont essentiellement dédiés au dessin et à la gravure, les feuilles à l’écriture incisive de Courtois, Gois, Doyen, Greuze ou Compte-Calix, dont il n’existe pas de peintures dans la collection.
De 1881 à 1935/37, les Magnin firent l’essentiel de leurs achats à l’hôtel Drouot. En l’absence d’archives, il est difficile de savoir ce qui relève du hasard des ventes et ce qui tient d’options définies a priori, les deux facteurs pouvant se mêler. Ainsi par exemple, la vente du 17 février de 1922 fut l’occasion d’acquérir des œuvres de Girodet et constitua un point de départ pour d’autres achats de dessins ou peintures de l’artiste. Mais les Magnin avaient acquis auparavant un dessin qu’ils avaient attribué au peintre3Apparition de Tiresias à Ulysse, inv.1938 F 432., montrant ainsi un intérêt non fortuit pour un artiste aujourd’hui tenu pour majeur.
Rares sont les autres artistes qui ont bénéficié d’un tel engouement. Dans le domaine du dessin, les Magnin ont montré un faible pour La Fage, David, Isabey, Théophile et Alexandre Fragonard et, dans une moindre mesure, Jeanron, Roqueplan, Eugène Cicéri, Tony et Alfred Johannot. Nous ne savons pas toujours si les dessins de ces artistes ont été achetés lors d’une même vente, voire dans un lot. Mais la concomitance de peintures de ces artistes laisse difficilement place au hasard pour expliquer leur présence dans la collection.
Isabey s’inscrit dans le goût prononcé des Magnin pour le portrait ; Cicéri corrobore leur affection pour le paysage ; Jeanron fait partie de ces artistes qui ont constitué un pont entre romantisme et réalisme, or les Magnin se sont montrés sensibles aux éléments de continuité (on ne trouve pas trace d’artistes d’avant-garde dans leur xixe siècle) ; les dessins des Johannot et d’Alexandre Fragonard évoquent les années romantiques, très présentes dans le fonds pictural du musée. Avec les dessins de son frère Théophile, ils témoignent de la préoccupation historique des Magnin, soucieux, en l’occurrence, de faire connaître les suiveurs de Jean-Honoré, dont ils cherchèrent aussi des œuvres. Sans doute faut-il aussi attribuer la présence de quatre dessins de Monnier à l’ascendance de ses maîtres Gros et Girodet, deux artistes hautement appréciés des Magnin, si attentifs aux filiations ; leur souci de faire œuvre d’histoire a également pu les guider dans l’acquisition de Monnier comme de Roqueplan : la reviviscence du xviiie dans l’art du xixe leur semblait sans doute importante à montrer, ainsi qu’ils s’y employèrent dans le domaine des arts décoratifs4cf. la period room Napoléon III du musée..
La première impression qui s’impose, en considérant les mille peintures et six cents dessins de la collection, est l’éclectisme. Mais à la réflexion, cette diversité paraît raisonnée. Tout se passe comme si les Magnin avaient voulu identifier les fils de la « trame » d’une histoire de l’art occidental classique, une histoire sans préjugés, « écrite » par le grand nombre des artistes qui firent l’art, à l’ombre des génies et des chefs-d’œuvre. Ainsi par exemple, les dessins de Bracquemond, Traviès de Villers, Jeanron, Cals, Vollon, Bonvin cernent-ils différentes modalités du réalisme au milieu du xixe siècle, à l’écart des œuvres notoires mais esthétiquement ou historiquement exceptionnelles de Daumier et Courbet. Grâce à cette « petite » histoire5Osons ici le parallèle avec l’école historique des Annales – que Marc Bloch et Lucien Febvre impulsèrent à partir des années 1910-1920 – et qui privilégie la longue durée sur l’événementiel, l’histoire matérielle sur celle des batailles, l’approche thématique et sociale sur l’histoire princière et royale., les Magnin ont mis au jour des talents alors peu connus et devenus aujourd’hui plus réputés – tels Le Sueur ou Bourdon – ou, à l’inverse, des artistes qui restent aujourd’hui encore méconnus. Ainsi en est-il du beau portrait de vieil homme au pastel donné par Jeanne et Maurice à une disciple de Greuze, Geneviève Brossard de Beaulieu6Inv. 1938 DF 109., et qui ne peut être que d’un(e) artiste important(e), encore à identifier.
Nos collectionneurs se sont-ils limités aux petits maîtres parce que leurs moyens ne leur permettaient pas d’aller au-delà ? Cela ne peut être que partiellement le cas, car ils auraient pu faire le choix d’acheter moins et autrement. Certes, ils ont comme tous leurs homologues quelquefois rêvé aux grands artistes, et les paris commis sur des œuvres anonymes se sont moins souvent soldés par des erreurs en dessin qu’en peinture : malgré de nombreuses réattributions, demeurent – dans le domaine graphique – un Stella, un Bourdon, deux Le Sueur, trois Greuze, deux Fragonard, deux David, trois Géricault et un Delacroix.
Mais ce ne sont pas nécessairement les plus belles feuilles de la collection. Comme en peinture, les Magnin ont aimé les œuvres atypiques ; c’est le cas du dessin de jeunesse de Stella et du dessin tardif de Boucher, mais aussi du portrait attribué au paysagiste Volaire, du Vieux Moulin, motif exceptionnel chez Pillement, du caprice romain de Vien, des paysages des peintres d’histoire Bardin et Girodet, ou de la représentation d’une forge par Bourjot, avant l’affirmation du réalisme.
Les émules, le milieu d’un maître, les artistes moins connus ou moins à la mode, ont eu leur faveur. Pour un Boucher, plus nombreuses sont les attributions à Deshays, Doyen, Lantara, Pillement ; plutôt que Valenciennes, on trouve des paysages de ou attribués à Nicolas André Courtois, Perignon l’aîné, Nicolle, Lempereur, Bruandet. Le néoclassicisme, qui constitue un ensemble notable de la collection, admet certes David et Drouais, mais en plus grand nombre les noms moins prestigieux de Moreau le jeune, Moitte, Meynier, Petit, Paillot, Langlois, Thiénon, Parizeau ou Leroy.
Dans leur « histoire de l’art par les œuvres », les Magnin n’ont pas manqué d’évoquer les artistes de leur région d’origine, avec des dessins de Bardin, Gagneraux, Hoin, Prud’hon, Bourjot, Lallemand (achetés, comme pour Rude, à Dijon). Les dessins de sculpteurs, qui retiennent tant l’attention de nos jours, ont suscité leur intérêt – ils ont voulu reconnaître la main de Puget, Clodion, Pigalle, Rude –, de même que ceux d’architectes, avec Oppenord, Percier, Viollet-le-Duc ; ils n’ont pas négligé les arts décoratifs, avec des feuilles aujourd’hui données à Girard et Lafitte.
Si la peinture parisienne du milieu du xviie siècle est un pôle d’excellence de la collection et celle du xixe donne matière à de nombreuses découvertes, les Magnin semblent avoir compensé la faiblesse – toute relative – de leurs peintures françaises du xviiie par le dessin. Peut-être ont-ils trouvé chez des dessinateurs de ce siècle un pendant à leur prédilection pour l’esquisse ? Mais il convient immédiatement d’ajouter que la précision du trait néoclassique les a aussi intéressés. Les feuilles de Gillot, Bouchardon, Parrocel, Carle Van Loo, Boucher, Challe, Louis-Félix et Philibert-Benoît de La Rue, Berthélemy, Gamelin, Eschard, Houel, Vincent… montrent en tout cas que, nonobstant l’accent porté sur la fin du siècle, les deux collectionneurs n’ont pratiqué ici encore aucun exclusivisme esthétique.
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Les dessins français des Magnin sont presque inconnus du grand public ; il n’en est pas de même des spécialistes. Arnauld Brejon de Lavergnée, conservateur en charge du musée de 1977 à 1987, avait eu l’heureuse initiative de faire photographier le fonds et d’en confier un exemplaire au Service d’étude et de documentation du département des Peintures du musée du Louvre. Les chercheurs ont donc eu l’occasion de rencontrer, dans les boîtes documentaires des peintures ou des arts graphiques, des reproductions de dessins de la collection. Par ailleurs, Arnauld Brejon de Lavergnée avait exposé une sélection de dessins français du xviiie siècle, en 1977, référencée dans les notices.
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Ce catalogue est une œuvre collective. En 1999, Estelle Giustiniani, stagiaire au musée Magnin, réalisa un important travail documentaire. Il fut poursuivi par Laure Starcky, chargée de mission au musée de 1992 à 2003. Il a bénéficié de l’active participation d’Hélène Isnard, documentaliste, dont le soin, la méthode et la constance ont permis de mener cette entreprise à terme7Outre les vérifications habituelles à la constitution d’un catalogue scientifique, il a fallu en effet contrôler systématiquement les informations concernant l’historique des œuvres, lorsqu’elles existent. De nombreuses œuvres n’ont en effet pas été retrouvées dans les catalogues des ventes mentionnées par les Magnin, qui ont sans doute inventorié leurs acquisitions tardivement..
Que tous les spécialistes qui ont bien voulu confier leurs avis et remarques – et dont le nom est mentionné dans les notices – trouvent l’expression de notre gratitude. Ce catalogue n’aurait pu se faire sans eux.